ACTE 1, SCENE 1.
Je pense donc je suis ? Non, pour moi c'est je danse donc je suis. La danse c'est la ligne qui traverse ma vie de part en part et qui me relie au monde, et aux gens qui m'entourent. Il y a les liens du sang aussi, il paraît. Mais à mes yeux, ces liens-là ont trahi leur serment. Les deux premiers serments se sont brisés dès l'enfance. Le père et la mère. Le Roi et La Reine.
Ils auraient du être les derniers parmi tous, les ultimes survivants, ce qui devant rien ne rompent leur serment. Papa fut le premier. L'incompréhension est mère de connerie. Et d'étroitesse d'esprit. Il n'a jamais compris et n'a jamais cherché à comprendre. J'avais ce truc en moi, j'avais ce truc dans le sang. Ca venait pas de lui, mais ça venait clairement de Maman. La danse. J'ai chaussé mes premières pointes à 4 ans. Le soldat ne comprit rien à ce choix. Il pesta, gueula, menaça. Ce n'était pas assez viril, je n'étais pas une gamine mais bien son fils et il n'entendait pas que son fils fasse un truc de "mauviette". Plus il insistait, moins je cédais. Et c'est notre lien qui a cédé. Il me voulait semblable à lui mais par dessus tout docile et soumis. Il n'a pas vu que justement, parce que je lui étais trop semblable, j'étais déjà incapable de courber l'échine, de laisser tomber mes rêves pour les siens. Il prenait cela pour des babillages d'enfant. Moi je savais que c'était mon avenir, quand je serais devenu grand. Mais qu'en savait-il de toute manière ? Il ne me connaissait pas, ne cherchait pas à me connaître dans la mesure où tout ce que j'étais, il voulait l'effacer, le formater et le remodeler. Il passait trop de temps avec ses hommes pour se rendre compte que ce n'est pas comme ça qu'on traite un enfant, encore moins le sien. Il voulait que je sois son soldat, ce n'était pas mon cas.
ACTE 1, SCENE 2.
Mon second amarre, pourtant plus solide a lâché plus tard. Maman. Ma douce maman. Elle aurait aimé avoir une fille, après Cassius mais elle ne m'en a aimé que davantage. Elle savait se contenter de ce que la vie lui donnait et d'être heureuse avec. Mais c'est moi qu'elle rendait heureux comme tout. Des hivers passés au coin du feu dans ses bras, des après-midis passés à danser sur la table de la cuisine pendant qu'elle cuisinait... Elle était la musique qui guidait mes pas. Elle me comprenait. Mon père l'accusait de trop me dorloter, de me transformer en lavette mais elle se contentait de palier au mieux son incorrigible bêtise. Je n'ai jamais su pourquoi elle l'aimait, elle devait avoir ses raisons. Mais tout ce qui comptât pour moi c'est que jamais elle ne cessa de m'aimer. Elle me transmit toutes ses passions: la danse, la cuisine, la littérature... Elle se livrait à moi là où mon père m'opposait un mur. C'est là qu'il a échoué. Elle était omniprésente dans ma vie, comblait l'absente latente de ce paternel autoritaire. Je dansais pour elle, j'excellais pour elle, je me montrais conciliant pour elle. Tout ce que je voulais c'était voir son sourire illuminer tout son visage jusqu'à ses tâches de rousseur. J'étais loin de me douter que ce sourire resterait à jamais figé un jour. Elle s'était tout bonnement endormie, pour ne plus jamais se réveiller. C'est comme ça que le lien s'est dissout, sans que je ne vois rien venir. J'avais 8 ans.
ACTE 1, SCENE 3.
Je me croyais livré à moi-même, mon père n'ayant pas montré la moindre compassion à mon égard. Il ne me restait que mon frère, Cassius, cet automate conçu de toute pièce. De 2 ans mon aîné, il ne ressemblait que par trop à Maman avec son caractère tendre. Mais il avait une admiration telle pour mon père qu'il n'envisageait pas de vivre sa vie autrement que comme il la lui dictait. Il se destinait à une carrière militaire lui aussi. Il a souvent essayé de me convaincre de faire de même, surtout après la mort de Maman, quand Papa m'a interdit la danse. Mais plus il essayait de me rallier, plus le fossé se creusait entre nous. L'incompréhension a la meilleure des pelles. Je me sentais trahi par celui qui aurait dû vouloir avant tout me protéger. Cela n'a fais que me rendre encore plus indomptable. Je mentais, inventais des excuses et sortais en douce pour aller danser. Cassius faisait l'autruche - c'était la moindre des choses - quant à mon père, il était trop peu présent pour voir quoique ce soit. Alors j'ai dansé, dansé et dansé encore pour combler le vide béant du manque. J'ai touché à tout, et à la famille qui me faisait défaut, j'en ai substitué une autre: la famille de la danse.
ACTE 2, SCENE 1.
Est-ce qu'il faut vraiment que je parle de la danse en elle-même ? Elle s'incrit de toute manière dans tous les compartiments de ma vie, elle a forgé toutes mes rencontres et marqué toutes mes relations de sa marque. Elle n'est étrangère à rien qui me concerne. Elle est la cause des moqueries dont j'ai toujours été la cause. Chaque enfant porte sa croix, à un moment où à un autre, mais cela ne devrait pas être sa passion. On devrait pas avoir à justifier une évidence pareille.
Mon père fut le premier à me railler, pensant sans doute me dégoûter. Ca pour être dégoûté, je l'étais mais pas de la danse, de lui tout simplement. Il se trouvait être l'homme auquel je voulais le moins ressemblé en ce bas monde.
Par les autres enfants ensuite. Un enfant ne mesure pas toujours la porter de ses actes ou de ses paroles, dans le cas contraire, il est foncièrement méchant et cruel. Je n'ai jamais pu réglé la question dans le cas de mes camarades de classe. Toute mon enfance, on m'a traité de fillette, de mauviette, de tous les trucs possibles et imaginables. A l'adolescence, je passais pour le gay de service. Il n'avait rien de mieux à faire. Si ma mère était là au début pour panser mes blessures, il a fallu que j'apprenne très vite à manier mon kit de suture par moi-même. Mais cela n'a fais que forger mon caractère et ma volonté. Comme toute autre expérience douloureuse, ça avait fais partie de moi, pour le meilleur comme pour le pire. Et
il avait été le premier à se dresser contre ça. Lachlan. Il s'était dressé contre les autres pour me prêter assistance. Aux moqueries que j'avais pris l'habitude d'ignorer, il avait opposé de la résistance. Il était de son propre aveu anti-conformiste. Et pourtant, toute sa personne attirait le monde vers lui. Il était charismatique, un meneur né, un de ces mecs populaires qui vous en impose rien qu'en marchant. Mais c'était mon cas qu'il avait choisi. On avait 14 ans. Qu'est-ce qu'on sait de la vie à 14 ans ? Je pensais qu'il avait juste commis une erreur et que dans mon infini égoïsme, j'en tirerai docilement profit le temps qu'il se rende comtpe que des amis, il pouvait en avoir des milliers. Mais il n'a jamais compris alors je suis toujours resté. Il a été le frère que Cassius n'a jamais été, il a été l'allié que ma mère ne pouvait plus être, il était là pour me foutre des coups de pied au cul quand j'en avais beosin ou pour corriger mes accès de suffisance avéré. Il était mon baume dans mes moments de doute. C'est bizarre à dire, surtout d'un mec mais il a pallié à tout ce qui manquait dans mon existence. Du moins, c'est ce que je croyais.
ACTE 2, SCENE 2.
Elle est apparue comme le soleil après la pluie. C'est très imagé mais tellement approprié. J'ai connu des filles dans ma vie mais aucune ne me regardait vraiment. Je n'étais pas un mec pour elle, un gay refoulé pour certaine, un danseur tout au mieux. Mais aucune ne m'a jamais porté le moindre intérêt et je n'ai jamais espéré en recevoir. J'étais résigné à mon sort depuis l'enfance. Mais elle m'a fais tomber sur le cul. Les filles, c'est pas ce qu'il manquait autour de moi. La danse, c'est leur truc à elle. J'en côtoie tous les jours, j'ai eu plusieurs partenaires, je les ai apprécié mais je n'ai jamais lié avec elles le lien que j'ai noué avec Maxine. Cette petite boule de manière et grâce tout droit sorti de sa France natale a débarqué du jour au lendemain à l'académie. Elle dégagea cette aura que je n'avais jamais vu chez une fille, aussi bien sur scène que dans la vie de tous les jours, ses yeux exprimaient une intensité que j'aurais voulu saisir avec mon appareil, sans jamais osé le faire. Comme je n'ai jamais osé l'aborder. C'est elle qui a pris les devants, comme toujours. Elle ne va jamais pas quatre chemins, elle sait ce qu'elle veut, elle dit ce qu'elle pense et ce qu'elle voulait c'était que je sois son partenaire. Ce que j'ai accepté, je n'avais jamais rencontré de danseuse aussi remarquable. Et je suis tombé amoureux, comme un idiot. Je me suis perdue dans ce couple fictif que nous formions, elle était la douceur et la poigne qui me faisait défaut. Elle était le brin de folie qui ne faisait pas partie de mon équation. J'étais aveuglé, j'ai cru pouvoir être heureux. J'avais oublié que mon monde n'admettait aucune femme et que cette règle implacable était inébranlable.
ACTE 2, SCENE 3.
La chute a été rude. Je plains Icare qui s'est aventuré trop prêt du soleil, moi mon soleil s'était elle. Je l'ai laissé entrer dans toutes les portes de ma vie, je lui ai donné tout ce que j'étais. Notre duo n'était que symbiose, je n'ai vu aucun mal à y intégrer Lachlan. Et je n'ai pas vu l'évidence, l'attirance évidente qu'il y avait entre eux. Tous les signes étaient là mais j'étais aveuglé. Aveuglé pendant des années. Vous imaginez l'ampleur de mon drame ? Je la voyais comme celle qui partageait tout ce que j'étais, mon âme soeur. Elle ne me voyait que comme son meilleur ami, gay au surplus. Et pendant des mois, ils ont entretenu une relation dans mon dos. Personne n'a cru bon de m'en informer, encore moins Lachlan qui savait parfaitement les sentiments que j'avais pour elle. Trahison ultime. Deux amarres qu'on arrache. Deux liens dont je ne veux plus. Alors j'ai fui, j'ai tout fui, cette réalité trop douloureuse et ce trop plein d'égoïste qui me coûte d'exister. J'ai quitté Sydney pour rallier Adélaïde, sans rien dire. A quoi bon de toute manière ? Trahi, c'est toute mon existence que j'ai quitté depuis plusieurs mois déjà et je ne compte pas y retourner. Il me reste que la danse, juste la danse, rien que la danse.