Une douche. Tu n'aspires qu'à une douche. Après avoir passé les deux dernières heures à te dépenser à fond, à danser jusqu'à en avoir les membres douloureux, il est l'heure pour toi de rentrer, plus que temps même. 18h. T'as l'air pressé mais pressé de quoi ? T'as personne qui t'attend dans ton appart'. T'as rien à faire ce soir. Tu vas juste te poser dans ton canapé avec un vieux plateau repas et mater la tv toute la soirée jusqu'à n'en plus pouvoir. Tu ne te rejouissais pas à cette perspective mais tu n'avais pas vraiment le choix. Cela faisait à peine du mois que tu étais ici et tu avais encore la vie sociale d'un poisson rouge. Tes connaissances se limitaient aux personnes que tu côtoyaient ici. Tu sortais peu. Ca ne te disait rien. Pourtant ça avait toujours été ton truc de sortir pour te défouler. Tu ne cuisinais plus vraiment dans la mesure où tu ne voyais pas l'intérêt de cuisiner pour toi-même. Tu trouvais ça vraiment trop glauque. Mais c'était ta nouvelle vie, la conséquence de ton choix. Tu avais coupé les ponts avec ta vie d'avant pour te tourner vers autre chose. Tu avais quitté la douleur mais elle ne t'avait pas quitté. Tu ne te sentais pas mieux, au contraire.

Tu lassais tes chaussures, tu venais d'enfiler ton sweat même si la température était encore plus que clémente dehors. Tu as relevé tes manches, saisis ton sac et tu étais prêt à partir. Tu avais assez dansé pour aujourd'hui, tu n'avais pas de cours à donner non plus. La paix que tu avais trouvé en dansant était en train de te quitter peu à peu. Tu aurais aimé avoir quelqu'un à appeler, quelqu'un à qui te confier mais tout ça tu l'avais perdu, pour toujours. Tu t'étais fais une raison et t'allais pas t'apitoyer sur ton sort. Alors tu dansais, tu dansais pour oublier, tu dansais pour être meilleur que jamais. Parce que la danse c'était tout ce qui te restait et que la danse est tout ce que t'auras jamais.

T'étais sur le pas de la porte mais t'as pas été capable de faire un pas de plus. Parce qu'elle était là. C'était une hallucination, t'étais pas en train de disjoncter ou d'extrapoler. Elle se tenait sur le pas de la salle, salle où tu ne pensais pas qu'elle apparaîtrait un jour. C'était pour ça que tu étais parti, sans rien dire à personne, comment t'avait-elle retrouvé alors ? Parce qu'elle l'avait bien retrouvé, Maxine était là. Et ton coeur, lui, s'était arrêté de battre.

« Belle prestation. »

Cette phrase avait suffit à raviver chez toi des tas de souvenirs que tu aurais préféré enfouir à jamais. Belle prestation. Tu te souviens encore du jour où elle t'a abordée et demandé d'être son partenaire. Tu ne l'avais jamais vu danser mais rien qu'à sa façon de se déplacer, son assurance et sa beauté avait suffi à te faire craquer. Toi qui avait l'habitude d'être prudent, exigeant, de peser le pour et le contre, tu avais accepté sur un coup de tête. Ou un coup de coeur. C'était à l'appréciation. Mais tu n'avais pas regretté ce choix, votre couple avait été d'une complicité inouïe et vous aviez fais bien des représentations ensembles. Mais tout ça, c'était avant, c'était le passé. Tu avais été naïf, aveuglé et tu l'avais payé cher. Très cher.

Tu ne t'attendais pas à ce qu'elle se pende à ton cou, les yeux vibrants d'émotion. Tu étais toujours tétanisé, les bras le long du corps, la bouche béante, comme une statue de pierre. Mais dans ta tête ça fusait dans tous les sens. Tu avais l'impression que ton être se déchirait sous le coup des émotions. Elle disait que tu lui avais manqué et tu avais envie de la serrer contre toi en disant quel déchirement ça avait été de partir et de lui tourner le dos. Mais tu n'oubliais pas que c'était elle qui t'avait tourné le dos, qu'ils t'avaient trompé Lachlan et elle. Et tu ne pouvais pas pardonner un truc pareil. T'avais encore failli craquer devant la larme solitaire qui ornait sa joue mais tu pouvais pas. Tu devais être plus fort que ça. Tu l'as repoussée, méthodiquement, froidement avant de reculer d'un pas. Il fallait que tu mettes de la distance entre vous deux, c'était trop dur. Elle disait qu'elle était là pour toi. Qu'elle t'avait suivi, qu'elle se renseignait sur ta nouvelle vie.. Tu secoues la tête.

« Arrêtes. Arrêtes tout ça, arrête ce cirque. Qu'est-ce que tu fais ici, Maxine ? »

« Ce que je fais là ? N'est-ce pas bien clair, Cullen ? Je suis venue te chercher. Pensais-tu que j'allais te laisser partir comme ça ? Sans explications, rien ? J'aimerais qu'on parle tous les deux. Si tu es occupé, j'attendrai le temps qu'il faudra. Mais ne cherche pas à te défiler, Cullen. Tu me connais bien, je ne lâcherai pas l'affaire. »

T'avais presque eu envie de rire tellement tout cela sonnait de manière grotesque à tes oreilles. Elle était venue te chercher, elle qui t'avait poussé à l'exil. Mais tu n'allais pas répondre, tu n'allais pas l'interrompre avant qu'elle ait fini. Tu allais la laisser dire tout ce qu'elle avait à dire avant de pouvoir clôre pour de bon toute cette histoire. Parce que tu voulais laisser tout cela derrière toi une fois pour toute et refaire ta vie, définitivement. Tu ne voulais pas trainer ça toute ta vie, c'était déjà assez lourd comme ça. Tu voulais faire ton deuil, voilà tout. Tu avais espéré le faire avec le temps. Et voilà qu'elle se pointait alors que tu voulais tout faire sauf penser à elle.

Elle avait repris une apparence plus sobre, neutralisant ses émotions et tu la reconnaissais bien là. Elle était blessée, tu t'en voulais mais tu ne pouvais pas flancher. Tu lisais dans ses yeux la déception que ça n'est pas facilement marché, à quel point elle était touchée que tu l'aies repoussée. Mais tu pouvais pas céder, pas comme ça. Tu ne pourrais plus jamais céder. Ce ne serait plus jamais comme avant. Tu ne la prendrais plus dans tes bras, tu ne la cajolerais plus, tu ne l'écouterais plus jamais se plaindre pendant des heures. Tu n'avais plus à tenir ce rôle qui n'avait jamais été vraiment le tien en somme. Plus jamais, jamais, jamais tu ne danserait avec elle et ça te faisait mal, comme tout le reste.

Mais il y avait bien une chose sur laquelle vous étiez d'accord: elle ne lâcherait pas tant qu'elle n'aurait pas obtenu gain de cause ou tant qu'il n'aurait pas été complètement clair. Il pensait que son attitude l'avait été assez pour ne pas avoir à donner d'explications mais ce n'était visiblement pas le cas.

« Je reconnais mes erreurs, je ne suis pas là pour me blanchir, ni te donner des explications absurdes. Je regrette... Si je pouvais revenir en arrière, je le ferai sans hésitation mais c'est impossible. Ne gâche pas la seule chance que j'ai de raccorder les choses, s'il te plait. »

Cette fois, le sourire avait fusé sur ton visage avant que tu ne puisses t'en empêcher. Mais ce n'était pas de la joie ou du triomphe, au contraire, c'était de la peine, de l'autodérison mal placée mais une réaction naturelle de son visage. Tu sentais une colère froide commencer à envahir tout ton être. Tu serrais les machoires pour ne pas dire quelque chose que tu ne supporterais pas. Alors tu pris une grande respiration faire les choses de manière posée, comme à ton habitude. Tu te passes la main sur la figure avant de répondre.

« Les regrets ne valent rien, Maxine. Et il n'y a rien qui puisse être sauvé, absolument rien. C'est trop tard. Comme tu l'as dis, impossible de revenir en arrière, c'est trop tard. »

« Ta rancune t'aveugle, Cullen. Ce n'est jamais trop tard pour les regrets. Je ne te demande pas de faire ça pour moi. Pense à Lachlan, à votre relation. Bordel, ça dure depuis sept ans.. huit ans. Vous préférez tout foutre en l'air comme ça ? Le barrer et me barrer de ta vie n'est pas la bonne solution. » Tu sens que tu vas craquer salement. Et le pire c'est qu'elle enchaine. « Il est venu avec moi ; il ne sait même pas que tu es ici. Tu as toujours été le plus mature des deux. Va le voir et réglez cette histoire. »

Elle l'a amené avec elle ? Ca y est, tu débloques. Et là t'as l'impression que t'as quelque chose qui craque dans ta tête. Tu deviens dingue. t'as perdu toute ta retenue, tout ton sang froid qui s'est fait la malle. Et tu sais que ce que tu vas dire plus de trucs que tu voulais en dire, plus de choses peut-être que tu le penses ou plutôt que tu oserais avouer. Tu peux pas t'en empêcher, tu peux plus te retenir. Elle te la fait à l'envers et ça t'es proprement insupportable. Il faut que la vérité éclate et avec elle, c'est toi qui éclate soudain.

« Mais tu te rends compte de ce que tu me dis, putain ?! C'est pas moi qu'ait tout foutu en l'air ! C'est pas moi qui est menti, c'est pas moi qui est trahi ! C'est toi, c'est lui ! Est-ce que t'as la moindre idée de ce que j'ai pu ressentir ? Tu crois que j'ai tout planqué, ma vie, par pur caprice ! Tu sais ce que vos conneries m'ont coûté au juste ? Et tout ce que tu trouves à me balancer à la gueule c'est que c'est simplement un caprice ? Mais regarde toi, princesse, c'est toi la reine des caprices ! Je suis pas comme ça, moi. Tout ce que je fais à une raison. Vous m'avez poignardé dans le dos et lui plus que toi encore. Il savait, tu comprends ça ? Que je me sois bercée d'illusions depuis qu'on a 16 ans, passe encore, mais que lui qui savait ce que je ressentais me fasse ce coup-là !... Jamais je pourrais lui pardonner une chose pareille. Et à toi non plus, vu comment tu me traites. »

Et d'un coup t'étais à bout de souffle, à bout d'idées, t'avais plus rien à dire, plus rien à déverser. Tu te sentais vide, inutile, comme une coquille vide. Tes forces t'avaient abandonné également. C'était comme si tu avais tout oublié de ta rancune, de ta rage. Enfin non, tout était toujours là mais enfoui, apaisé. Mais pour combien de temps ? C'est trop pour toi là, tu peux plus supporter de la regarder, de soutenir son regard. Tu ressers ta prise sur ton sac et tu te mets en marche en marmonnant un vague faut que j'y aille. Parce qu'il faut que t'y ailles ouais. Tu peux plus rester là, tu peux plus. T'es à bout, t'es au bout du rouleau. Tout ce que tu veux, c'est que ça s'arrête, que tout s'arrête. Et dire que tu pensais être tranquille à Adélaïde.