« Victoire, viens ici tout de suite ! » La petite fillette, alors âgée de six ans, savait parfaitement que lorsque sa mère l’appelait par son deuxième prénom cela ne présageait rien de bon. C’est donc légèrement apeurée par les futures représailles qu’elle se dirigea vers l’origine des cris. « Regarde ce que tu as fait ! Tu as mis de la farine partout dans la cuisine et en plus sur les canapés du salon. » « Mais ça se lave non ? » « Bien sur que ça se lave, mais tu te rends compte du temps que ca va me prendre ? Est-ce que tu as vu tes sœurs jouer avec de la farine ? Non ! Alors prends un peu exemple sur elles. Maintenant tu files dans ta chambre, tu es punie ! » « Mais maman… » « Il n’y a pas de mais ! Va-t-en ! » La petite brune fit tourner ses jambes et prit la direction de sa chambre, en pleurs. Elle trouvait cette situation injuste. Ses sœurs aussi faisaient des bêtises, pourtant elle ne les punissait pas ou du moins elle ne comparait pas l’une à l’autre. A plusieurs reprises elle avait entendu cette fameuse phrase Prends exemple sur elles ou alors Tu es désespérante, si seulement tu pouvais être comme Lucy ou Lexie. Mais à cet âge, on oublie vite. Aussi, Lily-Jean rumina pendant quelques minutes avant de prendre en mains ses poupées et commencer à jouer avec. Cependant, sa mère ne se doutait pas qu’en agissant ainsi, elle marquait le début de son futur mal-être.

Quelques temps après, Lily-Jean vint s’assoir près de sa mère. Cette dernière était entrain de lire mais à l’approche de sa fille cadette, elle ferma le livre et le posa non loin de là. « Maman.. » « Oui ? » « Il est ou papa ? » A voir l’expression de surprise qui se dessina sur le visage de sa mère, celle-ci montra qu’elle ne s’attendait surement pas une question de ce genre, surtout que cette question ressemblait énormément à celle que Lexie lui avait posé quelques années avant. « Et bien… » « Il est mort ? » « Non, il n’est mort. Disons… qu’il est parti. » « Ou ça ? » « Je ne sais pas » « C’était quand ? » « Quelques temps déjà. Mais dis-moi, pourquoi es-tu si curieuse ce soir ? » « Bin c’est parce que il y a des filles qui racontent que c’est de ma faute si papa n’est plus là. C’est vrai ? » « Lily-Jean, tu es encore trop jeune pour comprendre. » « Mais… » « Quand tu seras plus grande ; je te raconterai »« D’accord ... » Et la jeune fille s’en alla, sans insister. C’était sans voir qu’elle s’en alla avec tristesse car sa mère n’avait en aucun dit le contraire, n’avait pas réfuté les paroles de ces filles.

Plus la maturité prenait place sur le visage de Lily-Jean et plus la relation qu’elle entretenait avec sa famille se dégradait. Tout d’abord avec ses sœurs. Même si elles ne se détestaient pas, leur relation était basée sur une certaine froideur, une certaine distance. Elle était loin de toute complicité, de rires, de secrets partagés. Lily-Jean a toujours été jalouse de ses aînées car elles étaient plus charmantes, plus intelligentes. Elles savaient se comporter alors qu’elle, elle était comme une tâche. Sa mère continuait de les comparer sans voir la souffrance qu’elle affligeait à sa plus jeune fille. De plus, ses sœurs avaient pu connaitre leur paternel alors qu’elle n’en avait pas eu l’occasion. Et à chaque fois qu’elle tentait d'en savoir plus sur lui en questionnant ses sœurs, ces dernières ne répondaient pas. C’est pourquoi la dernière des Baker leur nourrissait une certaine rancœur. Cependant au lieu de se surpasser pour être mieux qu’elles, elle faisait tout le contraire. Elle enchainait les mauvais tours et les mauvaises fréquentations, histoire d’en faire désespérer plus d’une. Lily-Jean obtint alors ce qu’elle avait depuis longtemps désiré : on commençait à s’intéresser à ce qu’elle faisait, à s’inquiéter pour elle.

A côté de toutes ces histoires familiales, Lily-Jean fit la rencontre d’un garçon, nommé Chad, lorsqu’elle jouait dans le jardin devant la maison et qu’elle avait dix ans. Lui en avait cinq de plus. Il marchait sur le trottoir devant chez elle quand la petite fille envoya trop fort son ballon. Celui-ci atterrit quelques mètres plus loin sur la route. La petite fille se dirigeait alors vers son jouet quand elle sentit des bras l’encercler et l’arrêter dans son entreprise. « Où comptes-tu aller comme ça petite Princesse ? » « Mais laisse moi. Je veux aller chercher mon ballon. » « Reste ici, je vais aller te le chercher ton ballon car la route c’est dangereux. » « D’accord » Lily-Jean attendit alors sagement que l’inconnu revienne avec son bien. « Et voilà, tiens » « Génial, merci !» Depuis cet instant, les deux jeunes gens ne se sont plus quittés. Chad veilla sur la petite fille comme un frère pouvait veiller sur sa petite sœur. Tous les jours, ils se retrouvaient au même endroit, à la même heure : devant chez elle à 16h30. De là, ils faisaient en sorte d’oublier tout ce qui pouvait les entourer et profitaient de la présence de l’autre. En grandissant, Chad devint bien plus que son protecteur. Lorsqu’elle ne le voyait pas, Lily-Jean pouvait devenir très instable et sa famille en faisait les frais par la suite. Il était son oxygène, sa drogue. Lui seul pouvait la calmer, lui seul pouvait trouver les mots qui la consoleraient. Lui, tout simplement.

Niveau étude, il n’était pas difficile de conclure au fait que miss Baker n’était pas faite pour. Ou du moins c’était ce qu’elle aimait faire croire. Il faut dire que toute petite, rares étaient les professeurs qui se plaignaient d’elle. Au contraire, on ne cessait de complimenter sa mère sur son éducation et ses résultats. Pourtant, tout cela ne dura pas. C’est au collège que son niveau scolaire se dégrada. Pour blesser sa mère qui ne passait jamais de temps avec elle car trop occupée par sa marque, elle faisait en sorte de s’attirer des ennuis. Elle ne se donnait en aucun cas les moyens d’obtenir la moyenne à ses différents contrôles, du moins dans les matières qui ne lui plaisaient pas car lorsqu'il s'agissait des sciences de la vie et de la terre ou encore de la physique et chimie, elle excellait. De plus, elle faisait partie de ces élèves qu'on qualifiait de turbulents. Arrogante et sans gêne, elle répondait aux professeurs qui osaient lui faire une remarque, amusant ainsi ses camarades. Elle riait plus fort qu'eux cachant ainsi ses faiblesses et ses douleurs. A chaque fois qu'elle rentrait chez elle, sa mère l'attendait avec un « J’ai reçu un appel de ton proviseur : apparemment tu ne serais pas allée en ours aujourd’hui… Mais qu’est ce que je vais faire de toi ? Dis moi ! » Pour qu'ensuite son téléphone cellulaire se mette à sonner et qu’elle ne passe la soirée accrochée à ce dernier. Une simple phrase et plus rien. De plus, ses soeurs n'étaient jamais là. L'une parce qu'elle avait quitté le domaine familiale, l'autre parce qu'elle avait trouvé l'amour. Personne à qui parler si ce n'est Chad. Son Chad.

Quand enfin elle acquit l'âge d'arrêter ses études, Lily-Jean n'hésita pas. La seule chose qui pouvait encore la rattacher à ce monde était la lecture. Même si elle détestait le français, elle adorait s'évader en lisant. Seulement, personne ne connaissait ce penchant pour la lecture. Aussi, elle peut disparaitre plusieurs heures dans sa chambre pour se consacrer à un bon livre. Cependant, elle évite de répéter l'opération afin de ne pas éveiller les soupçons. Dès lors qu'elle ne devait plus aller à l'école, elle avait plus de temps à passer en compagnie de Chad, qui d'ailleurs n'approuvait absolument pas son choix. Dès que l'occasion se présentait, il n'hésitait pas à lui faire des remontrances et à chaque fois la jeune femme lui répondait par un « Tu n'es pas mon père, je fais ce que je veux. » Depuis, la jeune Baker enchainait les soirées parfois trop arrosées, les virées shopping. La miss buvait et parfois fumait également. Et histoire de contrarier encore plus sa famille, elle avait déjà touché à de la drogue. Néanmoins elle n'en était pas dépendante. Aussi, elle avait déjà été emmenée au poste de police pour avoir volé du maquillage ou alors pour tapage nocturne. En général, elle réussissait toujours à s'en sortir grâce à son nom de famille, sa mère étant une grande styliste bien qu'elle eut de grands déboires avec un certain Matthew. Nom qu'elle ne supportait plus mais qu'elle savait utiliser quand il le fallait.

Lily-Jean, bien qu'entourée par de nombreuses personnes, se sentait extrêmement seule. C'est surement un de ces grands moments de solitude qui la poussa à adresser sa première lettre à sa grande soeur, Lucy. Celle-ci était partie du domaine familiale afin d'acquérir plus d'expérience professionnelle. Sa première lettre avait été empreinte d'une effroyable tristesse accompagnée d'un sentiment d'abandon. Si elle ne s'était pas adressée à Lexie, c'était tout simplement parce qu'à ce moment là, elles vivaient encore sous le même toit. Et lorsque sa mère n'était pas occupée par sa marque, elle s'occupait de Lexie, son véritable espoir. Et surtout parce que Lexie ne se rendait pas compte de l'état moral de sa petite soeur. Cette situation ne faisait que rendre Lily plus rancunière et plus exécrable que jamais. Elle se promit alors de se venger. Puis, les lettres s'enchainèrent à l'insu de tous. A vrai dire, avoir reçu une réponse de la part de sa plus grande soeur l'avait quelques peu réconfortée. Finalement, elle comptait un peu pour elle.

Puis sa soeur Lexie partit elle aussi. Elle s'installa avec son compagnon, un certain Declan. Voir qu'elle était épanouie côté coeur enrageait encore plus Lily-Jean. Décidément elle avait tout eu car en plus de cela, elle avait obtenu un poste au journal de la ville et pas des moindres. La jeune demoiselle ne se sentit que plus misérable et au lieu de tenter de s'en sortir, elle ne faisait que s'engouffrer encore plus dans son cercle vicieux. Son meilleur ami faisait en sorte de lui ouvrir les yeux quitte à subir de violentes remontrances de la part de la belle. Néanmoins il était toujours là, à faire de son mieux pour qu'elle ne se sente pas plus mal de ce qu'elle était déjà. Son pilier.